Ce que les 5 Jours du Silence m’ont appris
La dernière semaine d’avril, j’ai passé 5 jours de retraite yogi dans la campagne autrichienne avec mon professeur et ami Shri Prasad Rangnekar.
Sur 14 personnes nous étions plusieurs nationalités de 3 continents. Nous avions pourtant un point commun : nous sommes tous des “adhikari” (qui avancent sur le chemin de yoga) suivant l’enseignement de Prasad.
L’endroit était bucolique, dans une ferme “bio, éco, veg et vert”, bref tout ce que nous attendons quand on parle de yoga mais ça peut ne pas être le cas :) Nous étions 7 personnes à dormir dans un espace ouvert dans l’immeuble principal et à partager une salle de bain. Les autres étaient dans les cabanes éparpillées dans le jardin avec une salle de bain située dans l’immeuble de la cuisine. Je précise tout cela car nous avons une vision idyllique de ce genre d’évènement mais le manque de confort, d’intimité et de solitude sont souvent parties intégrantes de l’expérience : comment gère-t’on ce genre de situation ? Par l’acceptation de ce qui est. Sinon, notre Ego souffre. C’est l’apprentissage du détachement dans la pratique.
La première journée, nous pouvions encore parler mais à partir du soir ce fut silence total : ni paroles, ni écrit, ni geste, ni contact visuel.
J’avoue, j’appréhendais un peu ce que cette plongée dans mon silence intérieur pouvait m’apporter. Je vais garder cela pour moi, mais je partager avec vous mon expérience avec le silence.
1. Le silence hurle
A l’extérieur, le calme. A l’intérieur, la tempête. Les premières 24 h furent critiques car les idées incessantes, presque obsessionnelles revenaient en boucle et mon esprit fut dérangé bien davantage que dans ma vie quotidienne. Malgré la pratique régulière des asanas (positions de yoga), de la méditation et du pranayama (respiration), il restait encore beaucoup de temps... à penser ! Sans pouvoir se distraire par le ménage ou la préparation du diner, par le travail ou les cours à donner, ou par un café avec une amie (Bon là il n’y avait pas de café de tout).
Le silence, dans mon cas, s’avérait bien bruyant!
2. Le silence repose
Après ces premières 24 h, j’ai vite réalisé que les petits drames que nous nous jouons dans la tête n’ont plus de raison d’être. Exemple : Ah ! Une personne qui partage ma chambre a ouvert la fenêtre alors que je suis en pyjama et que j’ai froid. N’ayant pas le droit de parler ni d’entrer en contact avec elle, je ne peux pas lui dire de fermer cette p…. de fenêtre ! Je ne peux pas non plus m’indigner qu’elle ait fait cela sans me demander d’abord :) Une seule option : aller fermer cette fenêtre moi-même... au risque de l’agacer à mon tour. Alors que faire : prendre sur soi ou fermer cette fenêtre ?
Autre exemple : Ah ! Il n’y a plus de thé de préparé. Ces gens n’ont même pas pensé que certaines personnes n’en avaient pas pris ? Tant pis, je n’ai qu’a être plus rapide la prochaine fois ou m’en faire moi-même.
Les “drames ” n’ont plus de raison d’être.
Parler pour ne rien dire non plus. On appelle ça en anglais « small talk » et ça m’a libéré de ne plus avoir à faire cela. Au bout du troisième jour, j’ai réalisé combien on économise d’énergie mentale et physique lorsqu’on évite les interactions (souvent inutiles) avec son entourage.
3. Le silence nous rend indépendant
Oui ! Vu qu’on ne peut plus demander de l’aide, il faut se débrouiller seul. On ne peut plus se plaindre du mal au dos ou d’une voisine qui réveille tout le monde à 4 h du matin en allant aux toilettes. On doit trouver du bois quand on a froid et faire le feu soi-même. On doit trouver le papier toilette également soi-même. Tout cela fait qu’on abandonne le schéma habituel qui consiste à demander aux autres lorsqu’on ne sait pas ou lorsqu’on a besoin de quelque chose. Alors on se met en mode débrouille. Et ça marche !
4. Le silence concentre
Quand on ne consacre plus son énergie aux drames, à bavarder, à se plaindre ou à solliciter de l’aide et de l’attention des autres, on peut concentrer notre attention sur l’intérieur de nous-mêmes. C’est comme un nettoyage du printemps, on peut soudainement respirer mieux dans sa maison. Ça brille et ça sent bon. C’est exactement ce qui se passe.
5. Le silence mène vers l’essentiel
La combinaison de tout ce qui est décrit plus haut fait que toutes les émotions et les pensées inutiles ne surgissent plus et que l’espace que nous avons créé fait ressortir les choses profondes et importantes. On réalise qu’il y en a peu qui exigent vraiment notre attention et notre énergie. Pour moi, ce qui compte c’est la famille, la santé et la pratique quotidienne et approfondie (sadhana). Le reste fait partie de la condition humaine que nous acceptons mais qui essentiellement ne change pas grande chose.
Notre souffrance vient de notre attachement aux choses extérieures qui par leur nature ne sont permanentes. Or nous nous attendons ce qu’elles durent dans le temps. Tout change, tout passe : le travail, les amis, les partenaires, les voitures et les maisons... le temps et l’argent. Ça nous frustre, ça nous énerve, ça nous excite. Nous vivons dans la recherche des plaisirs, dans la satisfaction immédiate de nos besoins et dans la gratification de nos désirs. Nous vivons aussi dans l’évitement des choses qui nous sont désagréables (raga et dvesha). Que d’efforts pour garder les premières et ne pas faire face aux deuxièmes !
Nous perdons la capacité de voir la réalité telle qu’elle est et sommes usés par cette frustration du changement. Nous sommes tels des souris qui tournent la roue et sommes extenués sans avoir vraiment avancé. Ou nous nous voilons la face dans la satisfaction de nos sens. La société d’aujourd’hui nous en offre plein d’occasions.
Je sais que pour la plupart d’entre nous le voyage intérieur et le détachement de nos désirs et de nos aversions semblent être utopique. Cela vaut pourtant la peine de garder cette formule simple en tête pour la prochaine fois que nous souffrirons : je parie que nous avons perdu l’objet de nos désirs ou nous n’avons pas pu éviter l’objet de notre aversion. En sachant cela, la pratique de détachement a l’air bien plus simple. Qui souffre ? Nous ou notre Ego ? Voila.
L’expérience du silence peut être différente pour chacun mais il est vrai que le silence révèle exactement ce que nous devons affronter et gérer dans notre vie.
Je retrousse donc mes manches...